L’Aperçu n°14 – Les nouveaux défis de la cartographie

juin 2022
L'Aperçu

Planification et aménagement > Aménagement du territoire

Observation > Transitions

LES NOUVEAUX DÉFIS DE LA CARTOGRAPHIE :
VISUALISER LES TRANSITIONS
ET LES ENJEUX DE L’ANTHROPOCÈNE

L'Aperçu de Guillaume Monsaingeon

Chercheur, philosophe et commissaire indépendant
Fondateur de l’OuCarPo (Ouvroir de cartographie potentiel)

La cartographie, trop sérieuse pour être laissée aux seuls cartographes ?

Il nous arrive à tous de fantasmapper en identifiant des formes cartographiques dans des nuages, des flaques, des taches : les cartes s’imposent à nous, nous ne saurions les arracher de nos esprits.

Les codes de représentation spatiale expriment aussi nos espoirs et nos peurs. Celui qui croit viser l’exactitude et la précision représente sans le savoir des systèmes de valeurs exprimés par l’échelle, l’orientation, les positions… Situer un terrain de foot sur la lune, neutraliser les communes adjacentes, placer les « envi-ronds » qui nous entourent dans la prison rectangulaire de l’écran ou de la feuille A4, représenter les constellations d’« en-dessous » mais les terres émergées d’ « au-dessus » : autant de codes lourds de conséquences.

Les stick charts océaniennes (qui expriment vents et courants) ou les peintures aborigènes (qui restituent rêve et espace, événements individuels et histoire collective) montrent ce qu’une cartographie pourrait être, au-delà des contraintes des logiciels et des codes. Les mappamundi et les figures accordées médiévales (cartes judiciaires faisant office de table de négociation entre les parties) acceptaient la dispute sans revendiquer de neutralité géométrique, elles n’avaient pas encore expulsé les présences corporelles.

Il ne suffit pas de revendiquer une vaine « liberté cartographique » : prendre en compte l’anthropocène, ménager la place à d’autres rapports au vivant implique de se défaire de prétendues évidences cartographiques, de considérer et d’inventer d’autres pratiques. Rien de plus sérieux que les jeux ou les approches artistiques de la carte.

LE DOSSIER THÉMATIQUE

LES NOUVEAUX DÉFIS DE LA CARTOGRAPHIE : VISUALISER LES TRANSITIONS ET LES ENJEUX DE L’ANTHROPOCÈNE

Qu’elles servent à se déplacer, se situer, analyser, observer ou élaborer des stratégies, les cartes sont le reflet de notre société contemporaine et le miroir de la gouvernance de nos sociétés. La cartographie dispose de sa grammaire visuelle, voire de ses conventions et évolue sans cesse. Elle est plus que jamais un outil précieux d’aide à la décision. La puissance offerte par l’essor du numérique offre à la cartographie de nouveaux terrains de jeu et un rôle majeur pour appréhender la complexité de l’organisation des territoires et faire la ville de demain.

Les cartes revêtent une dimension éminemment contemporaine où les citoyens et leur participation sont de plus en plus sollicités. Elles contribuent à une nouvelle manière de se représenter l’espace vécu et l’environnement dans lesquels nous évoluons.

C’est en prenant en compte les dimensions de sensibilisation, de découverte et de participation citoyenne au bien-être territorial, que les trois structures Interphaz, VivaCitéS Hauts-de-France et l’Agence de développement et d’urbanisme de Lille Métropole se sont associées pour mettre en avant les visages et les potentiels de la cartographie à travers la Biennale de cartographie.

Affiche de la journée thématique portée par l’ADULM – Biennale de cartographie 2022 © ADULM – 2022

LA BIENNALE DE CARTOGRAPHIE : DU LOCAL AU NATIONAL

En 2018, la première édition de la Biennale et ses trois jours de manifestations à destination des professionnels comme des citoyens (conférences, ateliers participatifs, balades urbaines) a rencontré un certain succès. La deuxième édition de la Biennale s’est tenue du 1er au 4 juin 2022 sur la métropole lilloise. Son ambition : mettre à l’honneur la cartographie, avec en filigrane les nouvelles relations entre l’Humain et la Nature.

LES NOUVEAUX DÉFIS DE LA CARTOGRAPHIE

Il existe de nombreuses manifestations dédiées à la cartographie ou à l’information géographique en France (GeoDataDays, Conférence francophone ESRI, le Printemps des Cartes, etc.). Mais l’Agence souhaitait, dans le cadre de la Biennale et en s’appuyant notamment sur le réseau des agences d’urbanisme porté par la Fnau, proposer une journée thématique inédite, à destination des professionnels.

L’Agence a souhaité y explorer la cartographie, sa pratique et son avenir, dans un monde en transitions (écologique, climatique, démographique, économique, etc.).

L’accélération des transitions rend difficiles leur compréhension, anticipation et représentation. L’une des principales vocations de la cartographie moderne est de détecter les signaux faibles afin de représenter des phénomènes qui se mesurent mais ne se perçoivent pas, de s’abstraire du réel afin de montrer l’invisible.

La journée proposée par l’Agence avait pour ambition de répondre aux interrogations suivantes : la cartographie peut-elle se réinventer et dépasser les limites de sa grammaire pour représenter le monde anthropocène et les transitions en cours ? Comment se distille-t-elle dans la société, et peut-elle évoluer pour appréhender les défis environnementaux ? Comment se met-elle au service des territoires pour aider à l’analyse, à la décision et à la mise en visibilité des transitions auxquelles nous devons faire face ?

CARTOGRAPHIER DES MONDES CENTRIFUGES

Axelle Grégoire, architecte, co-autrice de Terra Forma, manuel de cartographies potentielles, et Guillaume Monsaingeon, chercheur et philosophe, fondateur de l’OuCarPo (Ouvroir de Cartographie Potentielle), ont conversé autour de la cartographie et de la question des représentations. Le croisement de leurs visions complémentaires autour de la représentation, des formes, des échelles, des centralités, mêlant à la fois l’art et la technique, ont rappelé que la cartographie est un moyen d’engendrer des récits alternatifs et non-linéaires.

USAGES ET PRATIQUES DE LA CARTOGRAPHIE DANS LA SOCIÉTÉ

Après ce voyage qui a interrogé le vaste champ cartographique, la première table ronde de la matinée proposait une réflexion autour de la pratique et des usages de la cartographie dans la société.

La connaissance, la pratique et la capacité d’innovation de la cartographie passent par son enseignement. Guillaume Schmitt, maître de conférences à l’université, a rappelé que la cartographie moderne, héritière des règles de la sémiologie graphique dictées par Jacques Bertin, s’inscrit dans une ère résolument numérique et contribue à l’affirmation d’une société de citoyens cartographes.

Dans cette société numérique, Denis Vannier, data journaliste et cartographe indépendant, a précisé le rôle primordial du journaliste, car il permet un accès rapide à l’information, qui doit être intelligible par le plus grand nombre et également la plus pertinente possible.

Pour nourrir ces pratiques et prendre en compte les enjeux environnementaux, l’Institut Géographique National (IGN) occupe un rôle central. Gérard Blin, directeur territorial, a rappelé le rôle de l’IGN comme producteur de données de référence pour l’observation des territoires et des transitions (OCSGE, LIDAR HD).

Enfin, Armelle Le Mouëllic a présenté un travail de recherche mené par l’Agence d’architecture et d’urbanisme TVK, dans lequel la cartographie a servi de support à une nouvelle manière de penser la Terre, son aménagement et la manière d’y habiter. Nous avons ainsi exploré les relations complexes entre l’architecture et la Terre.

LA CARTOGRAPHIE AU SERVICE DU POLITIQUE ET DES TERRITOIRES

La carte a pour dessein d’aider à la compréhension de l’espace et sert de support pour l’aide à la décision. La deuxième table ronde a exploré davantage la place de l’innovation cartographique dans l’action politique et publique.

Les agences d’urbanisme produisent beaucoup de cartes. Elles sont un support fondamental de leurs travaux. Pierre Clap, chargé de mission à l’Agence de Besançon (AUDAB) et Laurie Gobled, directrice des systèmes d’information de l’Institut Paris Région (IPR) ont ainsi présenté certains projets menés dans leurs agences respectives. Agiles, les agences réalisent des pas de côté et innovent dans la représentation cartographique.

De manière plus opérationnelle, les collectivités locales produisent également de nombreux supports et analyses cartographiques, au service de la mise en œuvre et de l’évaluation des politique publiques. Chef de projet SIG à la Métropole Européenne de Lille (MEL), Louis-Vincent Fichet a exposé le rôle des directions « support », garantes de l’acquisition, de la diffusion et de la valorisation de l’information géographique au sein d’une collectivité locale de grande taille.

La donnée est fondamentale à l’analyse et à la compréhension de l’espace. À l’ère du numérique, elle est de plus en plus ouverte (open data), précise et volumineuse. Anaïs Teissonnier, responsable d’unité occupation du sol à CLS Lille, a ainsi proposé un focus sur les données produites pour l’observation des sols et sur la manière dont elles peuvent être une réponse aux enjeux environnementaux.

Ainsi, la carte (et la donnée qui la précède et la nourrit) est au service des territoires et des habitants. C’est un média en constante évolution, synonyme d’innovation. En s’extrayant du bruit ambiant, elle rend accessible la compréhension des transitions à l’œuvre dans le monde.

Journée thématique « Les nouveaux défis
de la cartographie » © ADULM – 2022

Mots clés : Cartographie – Biennale – Table ronde 

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